« Il est impératif que les établissements d’enseignement supérieur en Afrique revoient leurs concepts et identifient les compétences dont l’industrie a besoin », car « la pertinence des connaissances offertes par les établissements d’enseignement supérieur africains est de plus en plus remise en question », déclare le professeur Emmanuel Nnadozie, Secrétaire exécutif de la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique (ACBF).
« Certains jeunes se plaignent d'être des ingénieurs qualifiés, mais ils n'ont pas de travail », selon lui. « Il est évident qu’il existe une inadéquation entre l’éducation et l’emploi en Afrique. Le fait que certains ingénieurs et diplômés en sciences soient au chômage en Afrique souligne encore les nombreuses facettes de l'inadéquation entre la demande et l'offre de compétences. »
En conséquence, alors que les opportunités de nouvelles activités économiques et de création d’entreprises se sont multipliées ces dernières années, l’inadéquation des compétences a rendu impossible l’accès des jeunes et des femmes à bénéficier des avantages directs de la croissance économique.
Le professeur Nnadozie a fait ces remarques lors de l'ouverture officielle de la 6e Semaine africaine de l'enseignement supérieur et de la Conférence biennale RUFORUM 2018 (la 14e de la série) qui s'est tenue au Kenyatta Conference Center à Nairobi, au Kenya, du 22 au 26 octobre sous le thème : « Aligner les universités pour accélérer la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Afrique ».
Le Forum régional des universités pour le renforcement des capacités en agriculture (RUFORUM) organise des conférences biennales dans le but de rassembler des scientifiques, des décideurs, le secteur privé, des étudiants, des chercheurs, les médias et autres africains dans un même forum pour discuter et apprendre les uns des autres dans le but de faire progresser la contribution des universités au programme de développement de l’Afrique.
Le forum de cette année a été consacré à la meilleure façon pour les universités africaines d’appuyer la transformation de l’agriculture et aux mesures nécessaires pour renforcer un enseignement supérieur fondé sur le développement de la science, de la technologie et de l’innovation.
Le professeur Nnadozie a rappelé à la conférence que l'Union africaine reconnaissait clairement l'importance de l'enseignement supérieur en tant que composante essentielle de l'Agenda 2063. En particulier, une éducation qui soutient le renforcement des compétences indispensables en Afrique est essentielle, en particulier pour atteindre le deuxième objectif de l'Agenda 2063 d’avoir « des citoyens bien instruits et une révolution des compétences fondée sur la science, la technologie et l’innovation ».
Le Secrétaire exécutif a reconnu que de nombreux progrès avaient été réalisés dans l'enseignement supérieur en Afrique, le secteur étant passé d'environ 168 universités en 1960 à plus de 1 600 en 2010 et ce nombre continuant d’augmenter aujourd'hui encore.
« Cependant, dit-il, les preuves existantes montrent que, malgré ces progrès, l’Afrique est toujours à la traîne en termes de production de connaissances pour une société mieux informée et de constitution d’un capital humain lui permettant d’entreprendre des recherches pour éclairer le processus de développement. »
Il a cité des statistiques qui montraient qu’en 2016, l’Afrique ne comptait qu’environ 82 000 agronomes alors qu’elle a encore besoin d'environ 152 000 supplémentaires. Ainsi, le continent doit produire plus de 8 000 agronomes chaque année jusqu'en 2023.
« La même année [2016], l'Afrique comptait environ 55 000 ingénieurs mais a besoin d'environ 4,3 millions d'ingénieurs. Nous devons donc en produire plus de 300 000 chaque année jusqu'en 2023 », a déclaré le professeur Nnadozie.
Il a ajouté : « L'Afrique ne compte également que 21 000 géologues environ, mais a besoin d'environ 174 000 géologues. Nous devons donc en produire plus de 19 000 chaque année jusqu'en 2023. »
« Pour couvrir ces besoins, a-t-il poursuivi, « le continent ne produit que 700 000 diplômés en compétences techniques essentielles (CTE) par an. Effectivement, ces lacunes reflètent la tâche colossale à laquelle sont confrontées les universités africaines en ce qui concerne l'inscription et la fourniture d'une formation de qualité en masse autour des CTE. »
Le professeur Nnadozie a déclaré que l'ACBF a mené une étude en 2016 sur les compétences techniques essentielles nécessaires à la réalisation de l'Agenda 2063. L’étude a montré qu'il n’y avait que 400 chercheurs par million d'habitants en Afrique, contre 1 000 en Chine.
Cela signifie que la recherche, qui devrait être l’une des principales activités des universités africaines, est demeurée relativement faible, le nombre d'articles de revues scientifiques et techniques publiés entre 1992 et 2013 stagnant presque d’autour de 20 000.
« C'est très faible comparé à des régions comme l'Asie de l'Est et le Pacifique, dont le nombre de recherches a augmenté régulièrement de 89% pour atteindre plus de 700 000 articles au cours de la même période », a déploré le Secrétaire exécutif.
« Dans la même étude, il était également étonnant de constater que de nombreuses universités africaines se concentrent sur les sciences humaines et sociales alors que la réalisation du premier plan décennal de mise en œuvre de l'Agenda 2063 exige une main-d'œuvre solide dotée de compétences techniques essentielles en sciences, en technologie, en ingénierie et en mathématiques. »
Il est à noter que l'étude de 2016 a également démontré que près de 95% des étudiants africains sont en sciences sociales, en commerce et en droit. Seuls 2% étudient l’agriculture alors que celle-ci représente 32% du PIB du continent. En conséquence, l'Afrique est confrontée à de graves pénuries de compétences essentielles pour atteindre l'objectif des dix premières années de l'Agenda 2063.
« Je n'ai pas partagé ces statistiques pour être alarmiste, mais pour que nous puissions mieux planifier, sachant quelles lacunes nous avons à combler », a déclaré le professeur Nnadozie. « Je suis convaincu qu'avec un soutien adéquat des gouvernements, du secteur privé et des partenaires au développement, les universités africaines pourront surmonter ces défis. »
Il a donc appelé la conférence RUFORUM et les universités africaines à élaborer des stratégies claires sur la meilleure façon pour les établissements d’enseignement supérieur de jouer efficacement un rôle dans l’amélioration du développement des compétences afin de répondre plus efficacement aux besoins du secteur privé, aux priorités nationales, et aux diverses politiques et stratégies continentales et régionales.
Le Secrétaire exécutif a promis que l’ACBF, l’institution spécialisée de l’Union africaine pour le renforcement des capacités en Afrique, continuerait d’appuyer les pays africains et leurs institutions dans leurs efforts visant à développer ou à renforcer les capacités humaines, institutionnelles et immatérielles, et à mobiliser des ressources, octroyer des subventions, fournir des services de renforcement des capacités et exploiter les connaissances et l'apprentissage pour leur permettre d'atteindre leurs objectifs de développement.
« La Fondation, a ajouté le Secrétaire exécutif, veillera à ce que le renforcement des capacités reçoive l'attention qu'il mérite et continuera à mettre l'accent sur l'innovation, la rétention des capacités, l'harmonisation des capacités, l'utilisation des capacités et le renforcement durable des capacités en tant que principes directeurs de ses investissements et interventions dans le renforcement des capacités en Afrique. »